En un peu plus de deux siècles, les vaccins ont transformé la santé publique, entraînant une immunisation généralisée et un déclin constant des maladies évitables par la vaccination - l'une des plus grandes réussites de l'histoire de la médecine.
Aujourd'hui, nous nous trouvons à la croisée des chemins. Grâce aux avancées scientifiques, notre connaissance des vaccins est de plus en plus poussée. Le résultat? Des vaccins de plus en plus accessibles qui protègent contre un nombre grandissant de maladies. Cependant, la réticence et la complaisance à l'égard des vaccins sont également à la hausse dans ce climat de méfiance et de désinformation. Des adultes et des enfants continuent de tomber malades, et parfois de mourir, de maladies évitables par la vaccination. De plus, certaines maladies autrefois presque éradiquées au Canada menacent de réapparaître. Ou sont déjà de retour.
Dans cette série, nous nous entretenons avec deux personnes qui ont été personnellement témoins des effets dévastateurs des maladies évitables par la vaccination sur leurs proches. Nous discutons également avec la Dre Cora Constantinescu, pédiatre et spécialiste des maladies infectieuses, sur l'état actuel de la vaccination au Canada et sur les risques qui pourraient peser sur nous dans les années à venir.

Jessica Cohn
Défenseure des patients atteints du virus respiratoire syncytial (VRS)
«Lorsque mon fils Eitan avait deux semaines, son grand frère Ari est tombé très malade. Double otite, grosse toux. Ari venait d'entrer à la garderie, donc ce n'était pas surprenant. Les enfants tombent toujours malades lorsqu'ils entrent à la garderie. Je craignais qu'Eitan tombe malade aussi, mais les médecins m'ont dit de ne pas trop m'inquiéter. Je l’allaitais, et le lait maternel est comme de l'or liquide en matière d'immunité.
Or, quelques semaines plus tard, Ari était de retour à la garderie et Eitan avait du mal à respirer. Il a passé une nuit sans dormir, et le lendemain, c'était encore pire. Je n'ai pas paniqué, mais je l'ai emmené à l'hôpital par précaution. Presque immédiatement, ils ont dit que ça ressemblait à un VRS.
Deux jours plus tard, Eitan était sous oxygène. Un jour plus tard, il était relié à un respirateur aux soins intensifs. Son état ne s'améliorait toujours pas et il avait contracté une pneumonie. Il était branché à une dizaine d’appareils, il y avait des câbles partout. J'avais peur de le prendre dans mes bras. Ils m'ont dit qu'ils allaient peut-être devoir l'intuber. Je ne suis pas du tout religieuse, mais je me suis mise à prier.

Nous avons eu de la chance. Nous avons eu beaucoup de chance. Eitan a été hospitalisé pendant deux semaines et nous avons failli le perdre, mais il s'est complètement rétabli. Le prénom Eitan signifie détermination et persévérance, et ce sont des descriptifs qui lui vont comme un gant. Eitan a aujourd’hui 10 ans, et on ne devinerait jamais que tout cela lui est arrivé. Mais le traumatisme ne s’efface pas.
Vivre une telle expérience vous change. Lorsque mon troisième enfant est né pendant la saison du VRS et que j'ai appris que le vaccin était disponible, mais que mon bébé n'y avait pas droit, j'étais effondrée. J'avais l'impression de ne pas pouvoir être une mère normale. Je ne profitais de rien. J'étais tellement paranoïaque à l’idée que la situation se reproduise. Même le bébé le plus en santé peut en mourir.
Maintenant que le vaccin contre le VRS est une option pour les personnes enceintes et les nouveau-nés, j'espère vraiment que tout le monde envisagera de se faire vacciner. Je ne pense pas qu'il y ait de maladie respiratoire plus dangereuse pour un nouveau-né que le VRS. Et je pense que les gens ne réalisent pas l’ampleur de ce qui les attend. Si un parent a le pouvoir d’éviter à leur enfant ce qu'Eitan a vécu, je serais atterrée de savoir qu’ils n’ont pas pris cette précaution. »
Il existe plusieurs façons de protéger votre enfant contre une infection de VRS grave :
- Un vaccin administré pendant la grossesse, entre la 32e et la 36e semaine;
- Des médicaments à base d’anticorps monoclonaux pour les nouveau-nés, les bébés et les enfants de moins de deux ans.
Pour en savoir plus sur les différentes options à votre portée, rendez-vous à immunisation.ca.
LE SAVIEZ-VOUS?

Tristan Lachance
Défenseur des patients atteints du virus du papillomavirus humain (VPH)
«Mon père avait cinquante ans lorsqu'il est décédé d'un carcinome squameux lié au VPH. Je me souviens à quel point il a eu de la difficulté à nous annoncer, à ma sœur et à moi, que le cancer avait métastasé son foie. Mon père n'a jamais eu peur d'être émotif. Il était du genre à pleurer ouvertement devant un film triste. Mais c'était aussi un orgueilleux. Il était professeur d'éducation physique et avait travaillé dur toute sa vie. Il avait l'habitude d'être le plus fort.
Vers la fin, mon grand-père est venu nous rendre visite. Mon père avait perdu tellement de poids et il était devenu si fragile. Les voir tous les deux, assis ensemble, m'a complètement effondré. J'ai vu mon grand-père se résigner au fait qu'il allait survivre à son propre fils. Quand mon grand-père est parti, j'ai trouvé mon père seul dans sa chambre en train de pleurer, et j'ai fait de mon mieux pour le consoler. Mais il n'y avait rien à dire.

Ce n'est qu'après le décès de mon père que j'ai compris que son cancer aurait pu être évité par un vaccin. Je suis en deuxième année de médecine et, bien que je sache qu'il existe un vaccin et que je me sois moi-même fait vacciner, je commence juste à découvrir à quel point le vaccin s'est amélioré au fil du temps et à quel point son efficacité contre ces cancers s’est accrue. Je me suis joint à un groupe de travail pour faire la lumière sur le VPH ici, dans le nord de l'Ontario, où je sais d’expérience qu'il y a un énorme besoin d'éducation et de sensibilisation.
Il s'agit de l'infection transmissible sexuellement la plus commune. Plus de 70 % de la population canadienne est exposée au virus au cours de sa vie, et les gens ne comprennent pas à quel point les conséquences peuvent être graves. La plupart des gens, s’ils pensent au VPH, semblent se dire que ce n'est pas grave parce que le virus est souvent asymptomatique. Ils se disent que si tout le monde est atteint, le virus ne doit pas être si grave. Or, c’est faux : en réalité, le VPH peut rester en dormance pendant très longtemps. Vous pouvez même être asymptomatique pendant des dizaines d'années puis, soudainement, un cancer apparaît.
Il peut être gênant, surtout pour les hommes, de reconnaître le lien entre le VPH et le cancer. Nous ne parlons pas autant des cancers liés au VPH qui touchent les hommes que de ceux qui touchent les femmes. Pour un homme fier comme mon père, il peut y avoir encore beaucoup de préjugés entourant le lien au VPH. Il peut être délicat d'en parler, mais il est très important de le faire.
Ce n’est qu'un seul vaccin, mais il prévient tant de conséquences terribles. »
Le VPH est l'infection transmissible sexuellement (ITS) la plus courante au monde. Il peut causer des verrues génitales et des cancers, notamment de la tête, du cou, du col utérin et du pénis. Or, ces verrues et ces cancers sont très faciles à prévenir avec le vaccin contre le VPH.
LE SAVIEZ-VOUS?

Dr. Cora Constantinescu
Pédiatre et spécialiste en maladies infectieuses
Nous savons avec certitude que la population canadienne fait de moins en moins confiance aux vaccins. Ce n'est plus qu’une rumeur. Les recherches le prouvent. C'est une situation de crise pour la santé des enfants. Et le problème est particulièrement prononcé chez les personnes de 30 à 50 ans, qui sont les parents des enfants d'aujourd'hui.
Lorsqu’on demande aux parents quelles sont leurs préoccupations exactes concernant les vaccins, on se rend compte que c’est généralement une question de sécurité et de confiance. Ils ne sont pas convaincus de l'innocuité des vaccins et ne croient pas nécessairement que le système de santé et les organismes gouvernementaux qui évaluent les vaccins ont leur intérêt à cœur. De manière anecdotique, j’ai aussi constaté que même si l'on parle longtemps et directement avec ces parents des questions de sécurité et de confiance, cela ne change pas grand-chose à leur comportement en matière de vaccination. Car le vrai problème, c'est que les gens ne croient pas vraiment que leur enfant pourrait contracter une maladie évitable par la vaccination. Tant que les parents ne comprendront pas la menace que représentent ces maladies sur leur vie personnelle, ils ne changeront probablement pas leur comportement.
La désinformation et la politisation des vaccins ne deviennent des problèmes aussi graves que lorsqu'elles sont mues par la complaisance. Je m’en rends compte quand je parle de la polio aux parents. Le risque d'attraper la polio est pratiquement inexistant au Canada aujourd’hui, mais le vaccin contre la polio ne fait pas l'objet des mêmes réticences. Les parents trouvent le vaccin contre la polio plus acceptable parce qu'ils se souviennent d'un grand-parent ou d'un autre membre de la famille qui l'a reçu. Ils ont vu à quel point les effets permanents sont graves. D'autres maladies évitables par la vaccination ne semblent pas aussi menaçantes, car les gens n'ont pas de contexte personnel auquel se référer pour en mesurer l’amplitude.
Cependant, en tant que pédiatre, je vois le train arriver. Et ça m'empêche de dormir. Moins de gens se font vacciner, ce qui signifie que moins d'enfants sont protégés et que l’incidence des maladies qui auraient pu être évitées par un vaccin va grimper. Nous allons voir plus de cancers liés au VPH. Les épidémies de rougeole vont se multiplier. Nous allons voir plus de bébés aux soins intensifs avec des maladies comme le VRS, et nous allons voir plus de familles traumatisées par cette expérience. Dans un avenir proche, la polio pourrait même redevenir une préoccupation réelle au Canada. Les décisions que les parents prennent aujourd'hui en matière de vaccination détermineront inévitablement l'avenir dont hériteront leurs enfants.
Malheureusement, je n’anticipe pas d’amélioration dans les cinq ou dix prochaines années, à moins que nous ne mettions en place une stratégie nationale efficace pour communiquer la gravité du risque aux parents. Je sais que les parents veulent faire ce qu'il y a de mieux pour leur enfant. C'est pourquoi ces préoccupations quant à la sécurité des vaccins et la confiance en ceux-ci trouvent un écho. Bref, un recadrage de la conversation s’impose pour que les parents comprennent que le risque lié aux maladies évitables par la vaccination est bien plus titanesque. Et si nous voulons vraiment protéger nos enfants et leur donner une vie meilleure, la vaccination est l'un des rares facteurs que nous pouvons contrôler et qui peut réellement nous aider à atteindre cet objectif.
Immunisation Canada est une coalition nationale qui vise à aider la population canadienne a faire des choix éclairés en matière de vaccination décisions, et ce en créant et en fournissant au public et aux prestataires de soins de santé des ressources sur l’immunisation qui sont accessibles, à jour et fondées sur les données.
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